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blance proprement dite, et dans le second l'identité. Une certaine nuance de
rouge peut être identique à elle-même dans tous les objets où elle se rencontre.
On en dirait autant de deux notes de même hauteur, de même intensité et de
même timbre. D'ailleurs, à tort ou à raison, nous nous sentons marcher à des
éléments ou à des événements identiques à mesure que nous approfondissons
davantage la matière et que nous résolvons le chimique en physique, le
physique en mathématique. Or, une logique simple a beau prétendre que la
ressemblance est une identité partielle, et l'identité une ressemblance com-
plète, l'expérience nous dit tout autre chose. Si l'on cesse de donner au mot
« ressemblance » le sens vague et en quelque sorte populaire où nous le
prenions pour commencer, si l'on cherche à préciser « ressemblance » par une
comparaison avec « identité », on trouvera, croyons-nous, que l'identité est du
géométrique et la ressemblance du vital. La première relève de la mesure,
l'autre est plutôt du domaine de l'art : c'est souvent un sentiment tout esthé-
tique qui pousse le biologiste évolutionniste à supposer parentes des formes
entre lesquelles il est le premier à apercevoir une ressemblance : les dessins
mêmes qu'il en donne révèlent parfois une main et surtout un Sil d'artiste.
Mais si l'identique tranche ainsi sur le ressemblant, il y aurait lieu de
rechercher, pour cette nouvelle catégorie d'idées générales comme pour
l'autre, ce qui la rend possible.
Pareille recherche n'aurait quelque chance d'aboutir que dans un état plus
avancé de notre connaissance de la matière. Bornons-nous à dire un mot de
l'hypothèse à laquelle nous serions conduit par notre approfondissement de la
vie. S'il y a du vert qui est en mille et mille lieux différents le même vert (au
moins pour notre Sil, au moins approximativement), s'il en est ainsi pour les
autres couleurs, et si les différences de couleur tiennent à la plus ou moins
grande fréquence des événements physiques élémentaires que nous conden-
sons en perception de couleur, la possibilité pour ces fréquences de nous
présenter dans tous les temps et dans tous les lieux quelques couleurs détermi-
nées vient de ce que partout et toujours sont réalisées toutes les fréquences
possibles (entre certaines limites, sans doute) : alors, nécessairement, celles
qui correspondent à nos diverses couleurs se produiront parmi les autres, quel
que soit le moment ou l'endroit : la répétition de l'identique, qui permet ici de
constituer des genres, n'aura pas d'autre origine. La physique moderne nous
révélant de mieux en mieux des différences de nombre derrière nos distinc-
tions de qualité, une explication de ce genre vaut probablement pour tous les
genres et pour toutes les généralités élémentaires (capables d'être composés
par nous pour en former d'autres) que nous trouvons dans le monde de la
matière inerte. L'explication ne serait pleinement satisfaisante, il est vrai, que
si elle disait aussi pourquoi notre perception cueille, dans le champ immense
des fréquences, ces fréquences déterminées qui seront les diverses couleurs,
pourquoi d'abord elle en cueille, pourquoi ensuite elle cueille celles-là plutôt
que d'autres. À cette question spéciale nous avons répondu jadis en définissant
l'être vivant par une certaine puissance d'agir déterminée en quantité et en
qualité : c'est cette action virtuelle qui extrait de la matière nos perceptions
réelles, informations dont elle a besoin pour se guider, condensations, dans un
instant de notre durée, de milliers, de millions, de trillions d'événements
s'accomplissant dans la durée énormément moins tendue des choses ; cette
différence de tension mesure précisément l'intervalle entre le déterminisme
physique et la liberté humaine, en même temps qu'elle explique leur dualité et
Henri Bergson, La pensée et le mouvant Essais et conférences. 37
leur coexistence 1. Si, comme nous le croyons, l'apparition de l'homme, ou de
quelque être de même essence, est la raison d'être de la vie sur notre planète, il
faudra dire que toutes les catégories de perceptions, non seulement des
hommes, mais des animaux et même des plantes (lesquelles peuvent se com-
porter comme si elles avaient des perceptions) correspondent globalement au
choix d'un certain ordre de grandeur pour la condensation. C'est là une simple
hypothèse, mais elle nous paraît sortir tout naturellement des spéculations de
la physique sur la structure de la matière. Que deviendrait la table sur laquelle
j'écris en ce moment si ma perception, et par conséquent mon action, était
faite pour l'ordre de grandeur auquel correspondent les éléments, ou plutôt les
événements, constitutifs de sa matérialité ? Mon action serait dissoute ; ma
perception embrasserait, à l'endroit où je vois ma table et dans le court
moment où je la regarde, un univers immense et une non moins interminable
histoire. Il me serait impossible de comprendre comment cette immensité
mouvante peut devenir, pour que j'agisse sur elle, un simple rectangle, immo-
bile et solide. Il en serait de même pour toutes choses et pour tous
événements : le monde où nous vivons, avec les actions et réactions de ses
parties les unes sur les autres, est ce qu'il est en vertu d'un certain choix dans
l'échelle des grandeurs, choix déterminé lui-même par notre puissance d'agir.
Rien n'empêcherait d'autres mondes, correspondant à un autre choix, d'exister
avec lui, dans le même lieu et le même temps : c'est ainsi que vingt postes
d'émission différents lancent simultanément vingt concerts différents, qui
coexistent sans qu'aucun d'eux mêle ses sons à la musique de l'autre, chacun
étant entendu tout entier, et seul entendu, dans l'appareil qui a choisi pour la
réception la longueur d'onde du poste d'émission. Mais n'insistons pas
davantage sur une question que nous avons simplement rencontrée en route.
Point n'est besoin d'une hypothèse sur la structure intime de la matière pour
constater que les conceptions issues des perceptions, les idées générales
correspondant aux propriétés et actions de la matière, ne sont possibles ou ne
sont ce qu'elles sont qu'en raison de la mathématique immanente aux choses.
C'est tout ce que nous voulions rappeler pour justifier une classification des
idées générales qui met d'un côté le géométrique et, de l'autre, le vital, celui-ci
apportant avec lui la ressemblance, celui-là l'identité.
Nous devons maintenant passer à la troisième catégorie que nous annon-
cions, aux idées générales créées tout entières par la spéculation et l'action
humaines. L'homme est essentiellement fabricant. La nature, en lui refusant
des instruments tout faits comme ceux des insectes par exemple, lui a donné
l'intelligence, c'est-à-dire le pouvoir d'inventer et de construire un nombre
indéfini d'outils. Or, si simple que soit la fabrication, elle se fait sur un
modèle, perçu ou imaginé : réel est le genre que définit ou ce modèle lui-
même ou le schéma de sa construction. Toute notre civilisation repose ainsi
1
On peut donc, et même en doit, parler encore de déterminisme physique, lors même qu'on
postule, avec la physique la plus récente, l'indéterminisme des événements élémentaires
dont se compose le fait physique. Car ce fait physique est perçu par nous comme soumis
à un déterminisme inflexible, et se distingue radicalement par là des actes que nous
accomplissons quand nous nous sentons libres. Ainsi que nous le suggérons ci-dessus, on
peut se demander si ce n'est pas précisément pour couler la matière dans ce déterminisme,
pour obtenir, dans les phénomènes qui nous entoureront, une régularité de succession
nous permettant d'agir sur eux, que notre perception s'arrête à un certain degré particulier
de condensation des événements élémentaires. Plus généralement, l'activité de l'être
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