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nisme) de puissants instincts. Ce « renoncement culturel » 1 régit le vaste domaine
des rapports sociaux entre humains ; et nous savons déjà qu'en lui réside la cause de
l'hostilité contre laquelle toutes les civilisations ont à lutter.
Il imposera à notre investigation scientifique de lourdes tâches et nous aurons bien
des points à élucider. Il n'est pas facile de concevoir comment on peut s'y prendre
pour refuser satisfaction à un instinct. Cela ne va nullement sans danger ; si on ne
compense pas ce refus d'une manière économique, il faut s'attendre à de graves
désordres.
Si nous tenons cependant à savoir à quelle valeur peut prétendre notre conception
du développement de la civilisation, considéré comme un processus particulier
comparable à la maturation normale de l'individu, il devient évidemment nécessaire
de nous attaquer à un autre problème et de nous demander tout d'abord à quelles
influences ce dit développement doit son origine, comment il est né, et par quoi son
cours fut déterminé.
1
Dans le texte, « Kulturversagung », c'est-à-dire plus exactement refus de la civilisation (à laisser
l'individu satisfaire ces dits instincts). (N.d.T.)
Sigmund Freud (1929), Malaise dans la civilisation (trad. française, 1934) 29
IV
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Voilà une bien lourde tâche, devant elle, avouons-le, nous perdons courage. Je me
bornerai donc à exposer ici le peu que j'ai pu entrevoir.
Lorsqu'il eut découvert qu'au moyen du travail, il avait entre ses mains - au sens
propre - l'amélioration de son sort terrestre, l'homme primitif ne put désormais rester
indifférent au fait que l'un de ses semblables travaillât avec ou contre lui. Ce sem-
blable prit à ses yeux la valeur d'un collaborateur, et il devenait avantageux de vivre
avec lui. Auparavant déjà, aux temps préhistoriques où l'être humain était proche du
singe, il avait adopté la coutume de fonder des familles ; et les membres de sa famille
furent vraisemblablement ses premiers auxiliaires. On peut supposer que la fondation
de celle-ci coïncida avec une certaine évolution du besoin de satisfaction génitale, ce
dernier ne se manifestant plus à la manière d'un hôte apparaissant soudain pour
ensuite ne plus donner signe de vie de longtemps après son départ, mais comme un
locataire qui s'installe à demeure chez l'individu. Par là fut donné au mâle un motif de
garder chez lui la femelle ou, d'une façon plus générale, les objets sexuels ; les
femelles, de leur côté, ne tenant pas à se séparer de leurs petits, durent dans l'intérêt
de ces jeunes êtres dénués de tout secours rester auprès du mâle plus fort 1. Au sein
1
En réalité la périodicité du processus sexuel s'est maintenue mais son influence sur l'excitation
sexuelle psychique a tourné plutôt en sens contraire. Ce revirement se rattache avant tout à
l'effacement du sens de l'odorat dont l'entremise mettait la menstruation en état d'agir sur l'esprit
Sigmund Freud (1929), Malaise dans la civilisation (trad. française, 1934) 30
de cette famille primitive il nous manque encore un trait essentiel à la civilisation, car
l'arbitraire du chef et père était sans limite. J'ai tenté d'indiquer dans Totem et Tabou
la voie qui conduisait de ce stade familial primitif au suivant, c'est-à-dire au stade où
les frères s'allièrent entre eux. Par leur victoire sur le père, ceux-ci avaient fait
l'expérience qu'une fédération peut être plus forte que l'individu isolé. La civilisation
totémique est basée sur les restrictions qu'ils durent s'imposer pour maintenir ce
nouvel état de choses. Les règles du Tabou constituèrent le premier code de « droit ».
La vie en commun des humains avait donc pour fondement : premièrement la con-
trainte au travail créée par la nécessité extérieure, et secondement la puissance de
l'amour, ce dernier exigeant que ne fussent privés ni l'homme de la femme, son objet
sexuel, ni la femme de cette partie séparée d'elle-même qu'était l'enfant. Eros et
Ananké sont ainsi devenus les parents de la civilisation humaine dont le premier
succès fut qu'un plus grand nombre d'êtres purent rester et vivre en commun. Et
comme deux puissances considérables conjugaient là leur action, on aurait pu espérer
que le développement ultérieur s'accomplît sans difficulté et conduisît à une maîtrise
toujours plus parfaite du monde extérieur, ainsi qu'à un accroissement progressif du
nombre des membres englobés dans la communauté. Il n'est pas facile de comprendre
du mâle. Le rôle des sensations olfactives fut alors repris par les excitations visuelles. Celles-ci
contrairement à celles-là (les excitations olfactives étant intermittentes) furent à même d'exercer
une action permanente. Le tabou de la menstruation résulte de ce « refoulement organique » en
tant que mesure contre le retour à une phase surmontée du développement. Tous les autres motifs
sont probablement de nature secondaire (Cf. C. D. DALY, Mythologie hindoue et complexe de
castration, Imago, XIII, 1927). Quand les dieux d'une période de civilisation dépassée sont faits
démons, cette transformation est la reproduction à un autre niveau de ce même mécanisme.
Cependant le retrait à l'arrière-plan du pouvoir excitant de l'odeur semble être lui-même consécutif
au fait que l'homme s'est relevé du sol, s'est résolu à marcher debout, station qui, en rendant
visibles les organes génitaux jusqu'ici masqués, faisait qu'ils demandaient à être protégés, et
engendrait ainsi la pudeur. Par conséquent le redressement ou la « verticalisation » de l'homme
serait le commencement du processus inéluctable de la civilisation. A partir de là un enchaînement
se déroule qui, de la dépréciation des perceptions olfactives et de l'isolement des femmes au
moment de leurs menstrues, conduisit à la prépondérance des perceptions visuelles, à la visibilité
des organes génitaux, puis à la continuité de l'excitation sexuelle, à la fondation de la famille et de
la sorte au seuil de la civilisation humaine. Il ne s'agit là que d'une spéculation théorique, mais elle
est assez importante pour mériter d'être vérifiée avec exactitude sur les animaux dont les
conditions de vie se rapprochent le plus de celles de l'homme.
De même nous apercevons l'action d'un facteur social évident dans l'effort vers la propreté
imposé par la civilisation. Si cet effort a trouvé sa justification après coup dans la nécessité de
respecter l'hygiène, il s'est manifesté néanmoins avant que nous en connussions les lois.
L'impulsion à être propre procède du besoin impérieux de faire disparaître les excréments devenus
désagréables à l'odorat. Nous savons qu'il en est autrement chez les petits enfants, auxquels ils
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