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treuil et la voile sans savoir assez ce qu'on faisait ; de même le moteur à
essence et l'avion ; de même la grosse Bertha. On a souvent remarqué que nos
lointains ancêtres avaient une technique fort avancée avec des idées d'enfant.
Nos descendants diront à peu près la même chose de nous ; car il est vrai que
nous savons plus que les sauvages ; mais, en nous comme en eux, il y a
toujours une pointe de puissance qui est en avance sur le savoir ; et, en nous
comme en eux, toute avance de cette pointe tue une idée. De deux hommes
qui méprisent leur propre savoir, celui qui sait le plus est le plus sauvage.
L'illustre Poincaré, en ses livres de philosophie, qui sont badinage pour lui,
penche à trahir, mais finalement refuse de trahir ; non sans regret ; c'est si
plaisant de trahir !
Mais trahir quoi ? Que sait-on de rien ? Que saura-t-on jamais de rien ? Il
faut être enfant pour essayer de dire ce que c'est que l'or en lui-même, et
comment il est réellement fait ; ce que c'est que l'électricité en elle-même, et
de quoi elle est faite. Et, plus simplement, comment concevoir même que l'on
connaisse le tout de cet univers, ou le dernier détail de ses parties ? Deux
infinis. Une connaissance incomplète n'est pas le vrai ; et ce qui y manque est
toujours immense. Ainsi l'esprit a fait faillite, et fera toujours faillite. Laissez-
nous donc manier les ondes, les richesses, les hommes, sans les connaître. Et
perçons au lieu de penser ; perçons ce qui résiste ; la victoire fait preuve. Je
reprends ce lieu commun trop connu seulement pour faire voir qu'il fait la
guerre, et non pas par accident.
L'esprit n'est point né de la technique. L'esprit est théologien. Cette grande
idée, qui est de Comte, enferme encore un grand avenir. L'homme a cru voir
les dieux et les démons ; il s'est frotté les yeux ; il a soupçonné qu'il rêvait
quelquefois ; il a aperçu, en quelques-unes de ces visions, une grande part de
lui-même, et comme sa propre ombre, qu'il prenait pour une chose du monde.
D'où il vint à nettoyer en quelque sorte ses lunettes, et à démêler de ce qu'il
croyait voir ce qu'il voyait. C'était science contemplative, comme on dit, et
non point technique. Pourquoi je vois un animal dans la lune ? C'est que,
comme dit le fabuliste, il y a une mouche dans la lunette. Et pourquoi je vois
un spectre ? C'est que j'ai peur. À bien comprendre Lucrèce, on aperçoit que
ses atomes, hypothèse évidemment, ne sont que des armes contre les dieux ; il
l'a dit très explicitement. Considérés de ce côté, les progrès de la science,
toujours pauvres quant à l'objet, ont formé à l'égard de l'homme lui-même, un
irrévocable livre de sagesse. L'art de constater, qui est le fin de toutes les
méthodes, est bien petit devant l'immense objet ; mais il n'est pas petit par les
erreurs d'imagination dont il nous a nettoyés ; car ce n'est pas peu qu'une
éclipse n'affole plus les foules. Et, bref, en nettoyant l'image du monde,
l'homme s'est nettoyé lui-même de barbarie. Car nous ne savons pas ce qu'il y
a dans les choses, mais nous avons découvert que les diables, lutins et
farfadets n'y sont pas. Que ces êtres fantastiques soient possibles ou non, cela
dépasse notre portée ; mais aussi tous les Descartes de ce monde vont toujours
à constater si cela est, ou disons plus modestement, si ces apparitions sont
bien telles que l'imagination les décrit. Or, comme Montaigne savait déjà
dire : « Il n'en est rien. » Je néglige même ce que les passions rabaissées nous
laissent voir de la justice.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 104
Il suffit que presque tous les maux évitables résultent de croire et de faire
croire. Ainsi ceux qui trahissent l'esprit trahissent quelque chose. Ils craignent
de le savoir ; et c'est aussi pour eux-mêmes qu'ils savonnent l'eau. Ce qui rend
inextricable la doctrine sceptique, c'est qu'on ne sait pas toujours où elle va, ni
si elle se prend au sérieux. Il est si agréable de ne rien croire, que le seul
prolongement de cette règle, si naturelle dans l'expérience, soutient encore le
penseur. Sans compter qu'il se garde des alliés de l'autre côté, du côté des
croyants. Cette politique triomphante fait les traîtres véritables, qui, à dire
vrai, valent mieux qu'ils ne semblent. Et comme on dit, ils ne sont pas bien
méchants ; finalement ils ne savent pas bien où ils en sont. Et le savoir montre
ici ses vertus indirectes ; car il rend honnêtes ceux qui le touchent. L'esprit
souvent vaut bien mieux qu'il ne dit ; cela explique l'ironie.
3 novembre 1932.
Alain, Esquisses de l homme (1927) 105
Esquisses de l homme (1927), 4e édition, 1938
XLVII
L'orientation
27 décembre 1934.
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Je crois qu'il y a beaucoup d'imitation et d'occasion dans ce qu'on nomme
une vocation. Par le hasard d'un oncle ou d'un parrain, tel se trouve prêtre, qui
aurait mieux été paysan. Tel s'est fait banquier par l'amitié d'un camarade de
guerre, qui était peut-être plus doué pour vendre des chapeaux ou de l'épicerie.
Convenons que la vocation qui suit l'exemple paternel, comme il est constant
chez les paysans, est assez selon la nature. Et, de ces faciles remarques, je tire
d'abord qu'il ne faut craindre ici que de grosses erreurs ; car la différence n'est
pas immense d'un chef de bureau à un avocat, de l'un et de l'autre à un juge. Et
glisser de la menuiserie qu'on aimait, à la mécanique, qui s'est mieux pré-
sentée, ce n'est pas une grave méconnaissance de soi. Ce qui importe ici, c'est
de faire de grandes divisions auxquelles on puisse rapporter des espèces
d'hommes, et ce n'est pas si facile.
Je vois une immense différence entre ceux qui aiment à gouverner et ceux
qui aiment à fabriquer. Ce n'est pas la même chose d'inventer un moyen de
persuader, si l'on est avocat, et d'inventer un émail à froid ou un enduit pour
Alain, Esquisses de l homme (1927) 106
les murs. Et quelle est la différence ? C'est que celui qui aime et sait persuader
est aussi curieux des hommes, liseur, parleur ; au lieu que l'autre n'a pas à
parler à la peinture ni au ciment, car on ne le persuade point.
D'après cela je vois se dessiner quelquefois, et dès le commencement des
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